Quatre ans après avoir pris le pouvoir, la junte peine à tenir ses promesses : des élections incertaines, 30 % du territoire hors de contrôle et un pays en crise.

Dans une petite salle du 10ᵉ arrondissement de Paris, une trentaine de membres de la diaspora malienne débattent de l’avenir de leur pays. Parmi eux, Kadidia Fofana, militante en exil, est la voix de ceux qui ont fui une répression croissante. « Critiquer le régime, c’est risquer sa vie. Beaucoup de mes camarades sont en prison pour avoir simplement exprimé des idées contraires », confie-t-elle. Ces paroles reflètent le désarroi d’un peuple qui avait cru aux promesses du Mali Kura (Nouveau Mali) après les coups d’État militaires de 2020 et de 2021. Lorsque les colonels Assimi Goïta et Abdoulaye Maïga ont renversé Ibrahim Boubacar Keïta (2013-2020), nombreux étaient ceux qui voyaient en eux des sauveurs capables d’assainir une classe politique gangrenée par la corruption. Aujourd’hui, ce rêve semble bien lointain. Kadidia Fofana est catégorique : « Les militaires ont trahi leur promesse de transition démocratique en divisant le peuple entre patriotes et traîtres. »

Cette polarisation s’accompagne d’arrestations arbitraires, de l’exil forcé de figures dissidentes et d’une censure accrue des médias critiques. Moussa Mara, ancien Premier ministre, à la tête du parti Yéléma – qui signifie « changement », en bambara dénonce « une concentration du pouvoir dans les mains de quelques militaires », qui étouffe toute possibilité de débat démocratique. Le limogeage de Choguel Kokalla Maïga, ancien Premier ministre civil controversé, et les purges dans les institutions illustrent la volonté des désormais généraux au pouvoir de consolider leur contrôle, au détriment des aspirations populaires.

Malgré les annonces répétées des autorités de transition, l’organisation des élections reste hypothétique. Un expert en processus électoraux et observateur avisé de la politique malienne explique : « À ce jour, rien ne garantit que les élections auront lieu dans les délais promis, les conditions nécessaires à une consultation libre et crédible ne sont pas encore réunies. »

Des élections en 2025 ?
Certains signes récents laissent entrevoir un léger frémissement politique. Le remaniement ministériel, marqué par l’arrivée d’Abdoulaye Maïga comme Premier ministre, symbolise une tentative de rupture avec l’approche conflictuelle de son prédécesseur. Ce dernier s’efforce désormais d’adopter une posture plus conciliante : engagement d’un dialogue avec les partis politiques, libération de figures de l’opposition et gestes d’apaisement envers certaines factions critiques du régime. Pour Jabir Touré, politologue malien, « le maintien d’Abdoulaye Maïga au poste stratégique de ministre de l’Administration territoriale témoigne de sa volonté de conserver un contrôle étroit sur les préparatifs des prochaines échéances électorales ».

La prorogation de la révision des listes électorales jusqu’en février 2025, présentée comme un gage de sérieux pour garantir un fichier fiable, ouvre la perspective d’élections dès juin, une période traditionnellement privilégiée pour ce type de consultations au Mali. Par ailleurs, en s’octroyant le droit de légiférer sans passer par le Parlement, le gouvernement affiche sa détermination à accélérer les préparatifs.

« le maintien d’Abdoulaye Maïga au poste stratégique de ministre de l’Administration territoriale témoigne de sa volonté de conserver un contrôle étroit sur les préparatifs des prochaines échéances électorales ».

La prorogation de la révision des listes électorales jusqu’en février 2025, présentée comme un gage de sérieux pour garantir un fichier fiable, ouvre la perspective d’élections dès juin, une période traditionnellement privilégiée pour ce type de consultations au Mali. Par ailleurs, en s’octroyant le droit de légiférer sans passer par le Parlement, le gouvernement affiche sa détermination à accélérer les préparatifs.

Cependant, ces initiatives ne suffisent pas à dissiper les soupçons d’opacité et de manipulation. L’insécurité, particulièrement dans les régions du nord et du centre (Mopti, Gao, Tombouctou, Ménaka, Kidal), menace d’exclure une part significative de l’électorat, creusant davantage le fossé entre l’État et les populations délaissées. « Tant que les dates ne seront pas fixées et que les conditions logistiques et sécuritaires ne s’amélioreront pas, toute promesse d’élections crédibles restera une illusion », alerte Jabir Touré.

La candidature d’Assimi Goïta ne fait aucun doute
Les rumeurs persistantes sur une possible candidature du colonel Assimi Goïta, chef de la junte, excitent les soupçons et alimentent la méfiance. « Il y a environ 80 % de chances qu’il se présente. Les signaux sont évidents : les mouvements de soutien à sa candidature se multiplient, et des discussions seraient en cours pour ajuster la loi électorale, lui permettant de rester à son poste militaire tout en briguant la présidence », confie une source bien informée sous couvert d’anonymat.

Si ces scénarios se concrétisent, ils risquent d’intensifier les tensions politiques dans un climat déjà fragile. « Ces manœuvres révèlent une transition qui semble conçue davantage pour pérenniser la mainmise militaire sur le pouvoir que pour instaurer une véritable démocratie », dénonce un analyste politique. Une perspective qui fait bondir Oumar Mariko. « Il faudra poser la question du bilan, réagit vivement au bout du fil l’opposant et président du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi). Après avoir dénoncé le massacre d’au moins 500 personnes perpétré par l’armée malienne et les mercenaires russes de Wagner à Moura, entre le 27 et le 31 mars 2022, Oumar Mariko a pris, comme tant d’autres opposants à la junte d’Assimi Goïta, le chemin de l’exil. « La classe politique n’ose pas parler du bilan de la guerre parce qu’il est catastrophique. Les militaires ont échoué, et nous devons les remercier. Nous ne devons pas attendre d’eux qu’ils préparent des élections », s’emporte-t-il.

La situation sécuritaire au Mali devient toujours plus alarmante. Les groupes djihadistes et rebelles, profitant du retrait progressif de l’État dans certaines régions, renforcent leur contrôle sur des territoires entiers, transformés en bastions d’insurrection. « Ces factions développent une coordination accrue et une capacité à mener des offensives stratégiques de grande envergure, » avertit un analyste sécuritaire. L’arrivée de drones turcs sophistiqués, notamment les redoutables Bayraktar TB2, et d’autres équipements militaires modernes a marqué un tournant. Ces outils de haute technologie leur offrent une puissance de frappe inédite et augmentent considérablement leur résilience face aux contre-offensives des Forces armées maliennes (FAMa).

Sur le terrain, les FAMa, pourtant appuyées par les mercenaires de Wagner, peinent à contenir l’avancée de ces groupes. La déroute cinglante face aux rebelles du Cadre stratégique permanent (CSP) en juillet 2024, suivie d’un repli qualifié de « stratégique » en octobre, montrent les graves lacunes d’une stratégie militaire désordonnée et inefficace. Selon les estimations, environ 30 % du territoire national, incluant des zones stratégiques dans le nord et le centre, échappent aujourd’hui au contrôle de l’État. Cette réalité rend quasi impossible l’organisation d’élections crédibles et inclusives dans ces régions.

Dans ce contexte, les populations locales, abandonnées à leur sort, se retrouvent contraintes de composer avec ces factions armées pour assurer leur survie. « La situation est catastrophique sans comparaison avec les opérations antérieures comme Barkhane, pointe Oumar Mariko. L’ONG Human Rights Watch a dénoncé dans un rapport publié jeudi les « atrocités » commises contre les civils par l’armée malienne et son allié russe Wagner, ainsi que par les groupes armés islamistes, depuis le retrait de la mission de l’ONU il y a un an. Les perspectives s’assombrissent aussi à cause de la géopolitique : « Les conflits au Moyen-Orient, comme en Syrie, influencent indirectement la de nouveaux flux d’armements et de soutiens logistiques, » analyse un observateur.

Une économie asphyxiée : flambée des prix et mécontentement social
Les défis sécuritaires étouffent une économie malienne déjà fragilisée, plongeant le pays dans une asphyxie préoccupante. Une part écrasante des ressources publiques est absorbée par des dépenses militaires colossales, dont une portion significative finance le groupe Wagner et l’acquisition de matériel de guerre. Cette spirale budgétaire, conjuguée à une répression politique de plus en plus féroce, constitue un cocktail explosif qui menace d’embraser le pays. « Les Maliens sont acculés par une dégradation accélérée de leurs conditions de vie », souligne un expert. L’inflation galopante illustre ce désarroi : en quelques mois, le prix d’un sac de riz est passé de 15 000 à 24 000 francs CFA, étranglant les foyers les plus vulnérables et amplifiant un mécontentement populaire grandissant.

Les perspectives sont inquiétantes. « Si cette crise n’est pas contenue rapidement, elle pourrait devenir un catalyseur de déstabilisation sociale et politique majeure », prévient Jabir Touré. Il n’exclut pas la résurgence de mouvements d’opposition à l’image du M5-RFP, dont les manifestations en 2020 avaient précipité la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Cette hypothèse semble plausible : l’ancien Premier ministre Choguel Kokalla Maïga, figure emblématique du M5-RFP, pourrait tenter un retour en force. Parallèlement, l’imam Mahmoud Dicko, ex-président du Haut Conseil islamique et mentor historique de ce mouvement, pourrait également saisir l’occasion pour réintégrer la scène politique. « Dicko, avec son poids moral et sa capacité à mobiliser les masses, pourrait exploiter cette brèche pour redevenir un acteur incontournable », analyse l’auteur de Mali : une crise aux multiples facettes (L’Harmattan). Dans ce contexte explosif, la junte se retrouve dos au mur, étranglée par une crise économique aiguë, des tensions internes croissantes et une pression populaire de plus en plus difficile à contenir.

La Turquie en embuscade ?
La junte malienne, qui justifiait ses réformes économiques par la « restauration de la souveraineté nationale », révèle désormais une autre réalité : une quête pressante de liquidités pour remplir des caisses exsangues et maintenir un régime vacillant. Parmi ses mesures phares, la révision des conventions minières, censée augmenter la part de l’État, peine à masquer l’urgence financière qui étreint le pays.

Dans ce contexte, Bamako cherche de nouveaux appuis pour diversifier ses alliances stratégiques et réduire sa dépendance au groupe Wagner. « Le rapprochement avec la Turquie illustre cette volonté de réajustement. Il est motivé par un besoin urgent de rééquilibrer ses partenariats », analyse un expert. Cependant, cette initiative souligne aussi des divisions internes : tandis que Wagner conserve un soutien ferme du ministère de la Défense, le pivot vers Ankara pourrait traduire des tensions croissantes au sein de l’appareil gouvernemental, qui connaît des rivalités latentes et une fragilité accrue.

Face à ces multiples crises, des voix s’élèvent pour réclamer un dialogue national. Kadidia Fofana plaide pour une concertation sincère, incluant toutes les composantes de la société : « Le Mali a besoin d’un consensus national pour sortir de l’impasse. » Oumar Mariko appelle à un “dialogue national sincère” incluant toutes les parties, y compris les groupes armés. Quatre ans après l’irruption des militaires dans le champ politique, la question n’est plus de savoir si la crise malienne peut être résolue dans le cadre actuel, mais combien de temps le pays peut encore tenir avant d’atteindre un point de non-retour.