En pleine crispation avec Washington sur le sort des Afrikaners, Ramaphosa entame une visite stratégique aux États-Unis, avec un tête-à-tête attendu avec Trump.

 

C’est une visite qui tient de la manœuvre diplomatique de haute voltige. Ce mercredi 21 mai 2025, Cyril Ramaphosa est à la Maison-Blanche pour un tête-à-tête tendu avec Donald Trump. Depuis son retour à la présidence américaine, en janvier, le locataire du Bureau ovale a fait de l’Afrique du Sud l’une de ses cibles privilégiées, alimentant une série de tensions explosives avec Pretoria : sanctions, expulsions diplomatiques, dénonciation d’un « génocide blanc », menaces économiques… La relation bilatérale, essentielle pour Pretoria, vacille.

 

Le président sud-africain, qui a entamé lundi une visite de quatre jours aux États-Unis, espère raviver un lien stratégique mis à mal. Il veut obtenir un assouplissement de la politique américaine, que ce soit sur le plan économique, diplomatique ou idéologique. Et pour cause : Washington reste le deuxième partenaire commercial de Pretoria après Pékin. La menace d’une taxe de 31 % sur les importations sud-africaines, actuellement suspendue, ferait peser un lourd fardeau sur l’emploi local.

 

AGOA, terres agricoles et accusation de « génocide blanc »

« Que cela nous plaise ou non, nous sommes liés aux États-Unis. Nous devons leur parler », a reconnu Ramaphosa à la télévision publique sud-africaine avant son départ. Pour tenter de renverser la vapeur, Ramaphosa mise sur ses talents de négociateur, forgés durant les tractations qui mirent fin à l’apartheid dans les années 1990. Il compte aussi sur son image d’homme d’affaires prospère, capable de parler le même langage que Trump. À l’agenda : la possibilité d’un accord commercial plus large, la levée de certains obstacles tarifaires et des propositions ciblées aux entreprises américaines les plus chères à l’ancien président, notamment Tesla et Starlink, deux firmes d’Elon Musk – Sud-Africain de naissance – qui a récemment accusé Ramaphosa d’hostilité envers les Blancs.

 

Mais, sur ce terrain, les positions sont tranchées. Trump réclame que les entreprises américaines soient exemptées des règles sud-africaines de « Black Economic Empowerment », qui imposent un minimum de 30 % de participation de groupes historiquement défavorisés – une politique centrale du parti au pouvoir depuis la fin de l’apartheid. Un recul du gouvernement sur ce point semble improbable à court terme.

 

Cyril Ramaphosa s’avance également avec un objectif clair : préserver l’AGOA, cet accord commercial qui donne un accès préférentiel au marché américain. « Protéger les emplois, accroître l’économie et élargir les opportunités » : tel est le mot d’ordre du gouvernement, déterminé à défendre ses intérêts, quitte à affronter les obsessions idéologiques de Trump.

 

Tout est parti d’une loi controversée, promulguée le 23 janvier par Ramaphosa, autorisant la saisie de terres agricoles appartenant à la minorité blanche, qui ne représente que 7 % de la population mais détient plus de 70 % des terres. Une réforme hautement symbolique, dans la droite ligne de l’ANC. Elle a été immédiatement dénoncée par Elon Musk, Sud-Africain d’origine, soutien affiché de Trump, qui a parlé sur X d’une « persécution raciale ».

 

Dans la foulée, l’ambassadeur sud-africain aux États-Unis, Ebrahim Rasool, a été expulsé. Puis Washington a accordé le statut de réfugié à 49 premiers Afrikaners, arrivés le 12 mai sur le sol américain via l’aéroport de Dulles. Un geste symbolique fort. Selon une enquête du New York Times, plus de 8 000 familles afrikaners auraient sollicité l’asile aux États-Unis. Une comparaison avec les pieds-noirs d’Algérie a même été évoquée, jugée « outrancière » à Pretoria. Mais la rhétorique trumpienne, saturée d’enjeux identitaires, donne à cette affaire une portée politique inédite.

 

Israël, Moscou et autres lignes rouges

Autre pomme de discorde majeure : la plainte déposée par l’Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de justice en décembre 2023 pour « violation de la convention sur le génocide » à Gaza. Un acte salué par la majorité de l’opinion publique sud-africaine mais considéré comme une provocation idéologique par l’administration Trump. Même si certains membres de la coalition gouvernementale, comme l’Alliance démocratique, s’en sont démarqués, Cyril Ramaphosa ne semble pas prêt à reculer. Le Congrès national africain, parti au pouvoir, entretient depuis longtemps une solidarité avec la cause palestinienne, qu’il considère comme parallèle à sa propre lutte contre l’apartheid. Le président Ramaphosa a qualifié à plusieurs reprises Israël d’« État d’apartheid ». Le parti a perdu sa majorité parlementaire l’année dernière, ce qui l’a forcé à former une coalition gouvernementale avec l’Alliance démocratique (DA) de centre-droit, poussant le parti MK de l’ancien président Jacob Zuma et les Combattants pour la liberté économique (EFF) de Julius Malema dans l’opposition.

 

Washington s’inquiète également du tropisme prorusse et prochinois de Pretoria. Membre des Brics, l’Afrique du Sud a multiplié les gestes d’alignement avec Moscou depuis le début de la guerre en Ukraine, tout en martelant sa fidélité au non-alignement. Une posture difficile à tenir, d’autant plus que Pretoria accueillera en novembre le premier sommet du G20 jamais organisé sur le continent africain. Mais, si Trump décidait de bouder le rendez-vous, c’est toute l’opération diplomatique sud-africaine qui risquerait d’être plombée.

En coulisses, Ramaphosa essaie de recalibrer sa diplomatie. Il a invité le président ukrainien Volodymyr Zelensky à Pretoria fin avril, dans un geste d’ouverture vers l’Occident. Mais les images de ministres de l’ANC reçus avec chaleur au Kremlin n’ont pas échappé aux observateurs américains.