Ce 30 juillet, un projet de loi a été présenté en conseil des ministes visant à faciliter la restitution à leur pays d’origine de biens culturels pillés pendant la colonisation. Aujourd’hui plus de 90% des biens culturels africains se trouvent hors du continent.

 

Depuis le fameux discours d’Emmanuel Macron à Ouagadougou, au Burkina Faso, en 2017, et le rapport Felwine-Sarr, la France n’a restitué qu’au compte goutte les oeuvres d’art et autres biens culturels spoliés lors de la colonisation. En effet chaque retour requiert le vote d’une loi spécifique pour sortir des collections publiques.

 

Actuellement, seuls 30 objets ont été restitués, dont 26 au Bénin en 2021, alors que des demandes portant sur plusieurs milliers d’objets ont été déposées par des dizaines d’États, dont l’Algérie, la Côte d’Ivoire …

 

Une dizaine d’autres demandes ont été formulées officiellement, “certaines, très généralistes, pour lesquelles la ministre de la Culture, Rachida Dati, a demandé un resserrement du champ, comme pour l’Éthiopie qui réclamait il y a quelques années toutes les oeuvres contenues dans les collections nationales”, a indiqué le ministère de la Culture.

 

L’Algérie réclame pour sa part des effets personnels de l’émir Abdel Kader et le Mali des pièces du trésor de Ségou qui avaient été saisies lors d’opérations militaires liées à la conquête coloniale.

 

Le Bénin souhaite également que la France étudie d’autres demandes après les 26 objets déjà restitués, a-t-il détaillé. Les experts du ministère sont engagés dans un travail de recherche en provenance. Acquis durant la période coloniale souvent par la force ou la coercition, mais pas toujours, une grande partie des 72.000 objets africains du musée du Quai Branly à Paris font aussi l’objet d’un travail au long cours sur leur provenance en vue d’éventuelles restitutions.

 

Une procédure simplifiée

Ce projet de loi devrait simplifier la procédure en France. Pour rendre une oeuvre se trouvant dans un musée, il suffira de passer par décret et le conseil d’État en évitant le vote d’une loi par l’Assemblée nationale. Le patrimoine français étant “inaliénable et propriété de la nation”, il fallait donc voter une loi par objet. Ce fut le cas pour le tambour parleur Djidji Ayôkwé, dont la Côte d’Ivoire avait réclamé la restitution il y a six ans.

 

Lire Restitution du patrimoine africain: peut-on dépasser l’actuel débat autour des objets acquis ou pillés?

 

Or les demandes s’accumulent. “Des milliers de pièces ont été restituées vers l’Afrique de par le monde et la France se trouve vraiment à la traîne”, estime la chercheuse Saskia Cousin, interrogée par l’AFP.

 

En 2022, l’Allemagne et le Nigeria se sont ainsi entendus sur la restitution d’environ 1.100 oeuvres.

 

Le texte présenté ce 30 juillet en conseil des ministres, vise à accélérer le retour dans leur pays d’origine de biens culturels appartenant aux collections nationales françaises. Ils doivent revenir à des “États qui, du fait d’une appropriation illicite, en ont été privés” entre 1815 et 1972, selon le ministère de la Culture. Il s’agit d’objets qui auraient été acquis par le vol, le pillage, la contrainte, ou encore l’appropriation illégale. Le cas échéant, et pour enlever tout doute, une commission sera mise en place, composée d’experts français et du pays demandeur afin de certifier l’origine des objets.

 

Un processus que les musées ont parfois du mal à enclencher comme le rappelait sur notre plateau en 2023 l’historienne Françoise Vergès.

 

“C’est un sujet délicat, attendu et il faut donc qu’on produise une bonne législation”, explique à l’AFP la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly, spécialiste du sujet et désignée rapporteure du futur texte lors de son examen au Sénat à la rentrée.

 

Du côté du Sénat, on attend également que le futur texte fixe une méthode rigoureuse d’examen des demandes de restitution afin d’éviter tout impair.

 

La question des restes humains

En 2020, la France avait restitué à Alger 24 crânes affirmant qu’il s’agissait de ceux de combattants anticoloniaux algériens. Or, deux ans plus tard, une enquête du quotidien américain The New York Times établit que seuls six de ces crânes étaient bien ceux de combattants et que l’origine des autres ossements était très incertaine.

 

Dans son dernier livre, “Le Pain des Français”, publié en avril 2025 l’écrivain franco-britannique d’origine algérienne Xavier Le Clerc évoque ces restes humains conservés dans les réserves du Musée de l’Homme. L’auteur retrace la vie de cette petite fille kabyle, décapitée par les troupes française en 1845, et dont il observe longuement le crâne, une façon aussi de parler de son histoire familiale.

 

Des doutes entourent également le sabre remis fin 2019 par la France au Sénégal. Au moment de sa restitution, l’historien africaniste Francis Simonis avait assuré que cette arme n’a “jamais appartenu” au chef de guerre El Hadj Oumar Tall comme l’indiquaient les autorités françaises.

 

“Avant que le Parlement ne se dessaisisse de son pouvoir, on veut s’assurer qu’il y ait tout un travail méthodique et scientifique pour être sûrs de l’authenticité du geste”, affirme Catherine Morin-Desailly.

 

Son collègue communiste Pierre Ouzoulias soutien que “ce n’est pas au Parlement d’écrire l’Histoire. En revanche, c’est notre rôle de réparer des fautes et d’apporter la justice comme cela a été fait pour les spoliations antisémites ou les restes humains”, qui ont tous deux fait l’objet de lois-cadres en 2023.

 

Selon le sénateur, la montée en puissance des restitutions ouvrirait de nouveaux horizons diplomatiques. “Il faut les concevoir comme des formes de coopération entre des États qui travaillent à la reconstitution d’un patrimoine national auquel les populations sont profondément attachées”.

 

Une question douloureuse

Cette proposition de loi cadre est donc en pas en avant pour régler une question très douloureuse car plus que de simples objets, il s’agit d’une part de l’histoire et de l’identité africaine qui est en jeu. Comment enseigner l’histoire de l’art au Bénin alors que toutes les oeuvres les plus emblématiques se trouvent toutes dans des musées européens faisait remarquer récemment la chercheuse Saskia Cousin au micro de France culture.

 

Cette anthropologue et professeure de sociologie à l’Université de Paris Nanterre étudie la question depuis cinq ans et coordonne les programmes de recherche “ReTourS : géopolitique, économies et imaginaires de la restitution (ANR)”.

 

Pour la chercheuse, cette loi cadre est une avancée car “les pays vont enfin pour établir leur demandes”. Elle rappelle que dans le cas des restitutions faites au Bénin, ce n’est pas le gouvernement béninois qui a pu choisir les objets. “Avec ce texte et la possibilité de passer par le Conseil d’État, les États les premiers concernés vont pouvoir établir leurs listes eux-mêmes.” Elle souligne qu’il y a évidemment “un enjeu de diplomatie culturelle majeur. Mais il ne faut pas que cela masque la question de pourquoi et comment les pays les premiers concernés ont besoin de ces objets.”

 

C’était tout l’objet du documentaire “Dahomey” sorti en 2024. La réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop y raconte comment vingt-six trésors royaux de l’ancien royaume du Dahomey quittent Paris pour être rapatriés définitivement vers leur pays d’origine, la République du Bénin.

 

La restitution des biens culturels africains spoliés est une étape essentielle pour construire un avenir plus juste et plus respectueux. C’est un acte de réparation, mais aussi un moyen de renouer avec un passé trop longtemps occulté.