Éditorial. En envoyant ses diplomates au Maroc, l’AES “solde ses comptes avec l’Algérie”

Éditorial. En envoyant ses diplomates au Maroc, l’AES “solde ses comptes avec l’Algérie”
Le 28 avril, Mohammed VI a reçu les chefs de la diplomatie des trois pays de l’Alliance des États du Sahel (Mali, Burkina Faso et Niger). Au cours de cette rencontre était notamment évoquée la question de l’ouverture d’un accès à la mer pour ces trois pays enclavés. Mais pour ce quotidien burkinabè, il s’agit surtout d’un pied de nez à l’Algérie.
Être reçu au palais du souverain alaouite par le maître des lieux, le roi Mohammed VI en personne, est un honneur et une marque de confiance. C’est ce à quoi ont eu droit Abdoulaye Diop, Bakary Yaou Sangaré et Karamoko Jean-Marie Traoré, respectivement ministres des Affaires étrangères du Mali, du Niger et du Burkina, autrement dit de l’AES [l’Alliance des États du Sahel].
Officiellement, le plat de résistance de cette audience du 28 avril est l’Initiative africaine de l’Atlantique, ce projet cher au roi du Maroc. Il s’agit d’un corridor maritime dans l’Atlantique supérieur qui sera ouvert aux pays du Sahel. Ce qui tombe bien, car s’il y a déjà les ports de certains voisins de l’AES, ce projet royal ne manque pas d’intérêt. Il s’agit d’étoffer les infrastructures – sur la terre, dans l’air et sur la mer – pour permettre au Mali, au Burkina et au Niger de booster leurs trafics commerciaux. Des infrastructures qui sont certes embryonnaires, mais aussi bien dotées, il ne reste plus que les connexions numériques et routières.
Cette initiative lancée par “M6” en novembre 2023 consiste en un partenariat commercialement “gagnant-gagnant”, le Maroc étant le premier investisseur en Afrique de l’Ouest. Mais ce serait faire preuve de nanisme politique et géopolitique que de voir ce tropisme chérifien sous le seul prisme d’une relation commerciale.
La notoriété publique est faite sur le casus belli que constitue le Sahara occidental entre le Maroc et l’Algérie [ce territoire considéré par l’ONU comme “non autonome” est revendiqué par le Maroc mais contesté par les indépendantistes du Front Polisario soutenus par l’Algérie]. Avec de plus en plus une ascendance diplomatique du premier sur le second. Et le Maroc envisage toujours ses liens avec un pays par rapport à ce marqueur sensible qu’est le Sahara occidental.
La marocanité de cette terre que se disputent le Maroc et l’Algérie embaume les relations entre le royaume chérifien et tout pays. Or, ça tombe bien, l’AES et le Maroc s’entendent parfaitement. Certes, le Mali, le Burkina et le Niger n’ont pas encore franchi le pas pour s’aligner sur la position marocaine, cultivant toujours cette neutralité, souvent recommandée en diplomatie.
Une guerre sans fusil
Néanmoins, la proximité de l’AES avec le Maroc et la récente tambouille Algérie-AES font les affaires du roi M6. Lequel semble bien exploiter ce filon diplomatique. C’est connu, l’ennemi de mon ami est mon ennemi. L’AES profite du Maroc pour solder momentanément ses comptes avec l’Algérie.
Depuis fin mars et la destruction du drone malien à Tinzaouatène par l’Algérie, c’est un gel polaire qui fige dans la glace les relations entre ce pays et l’AES, or avec le Maroc, aussi, ça ne va pas.
L’AES en profite via le Maroc. Et même, vu sous un autre angle, on peut dire que le royaume est de nos jours dans une position confortable, dans les relations entre ces trois pays et la France. Inexistants quasiment, les rapports entre l’ex-métropole et son ancien glacis sahélien pourraient connaître des frémissements par le Maroc, dont le roi s’avère incontestablement être un grand médiateur.
Or, entre la France et le Maroc, c’est le grand amour, une France qui a même reconnu la marocanité du Sahara occidental, où a séjourné Macron en visite d’État fin octobre 2024, provoquant la colère noire d’Alger, un pays avec lequel la France a des liens historiques. Mais la diplomatie, c’est porter aussi des coups, souples certes, mais qui font mal, une guerre sans fusil.