Alune Wade : L’odyssée transatlantique d’un prodige sénégalais

Alune Wade : L’odyssée transatlantique d’un prodige sénégalais
Au carrefour des rythmes sénégalais, de l’afrobeat nigérian et des fanfares de la Nouvelle-Orléans, Alune Wade, bassiste et compositeur sénégalais de 45 ans, tisse un pont musical audacieux. Son sixième album, New African Orleans, paru sous les labels allemands Enja et Yellowbird, est bien plus qu’un projet musical : c’est une exploration des racines africaines du jazz, une célébration des échanges transatlantiques et un hommage vibrant à la résilience des musiques nées sous l’oppression. Accompagné d’un documentaire, Tukki, des Racines au Bayou, d’un cycle de conférences et d’une parade festive, ce projet pluridisciplinaire s’annonce comme un événement culturel majeur, avec une première mondiale prévue à Dakar et Saint-Louis du 22 au 30 mai 2025.
Une quête musicale inversée
« J’explore un monde qui va des racines aux branches perdues de l’autre côté de l’Atlantique », confie Alune Wade. L’idée de ce voyage musical germe en 2014, lors du festival Jazz à Gorée qu’il organise au Sénégal. Là, il décide d’inverser le trajet habituel des influences musicales, souvent tracé des États-Unis vers l’Afrique. « Je voulais partir vers l’ouest et entamer une conversation musicale avec les meilleurs artistes, au Nigeria comme aux États-Unis », explique-t-il. Ce périple, qui débute à Lagos en mai 2024, passe par Saint-Louis au Sénégal, puis s’achève à la Nouvelle-Orléans à l’automne 2024, donne naissance à un album et un documentaire qui racontent l’odyssée des rythmes africains à travers l’Atlantique.
New African Orleans est un dialogue entre les traditions ouest-africaines et le jazz louisianais. L’album mêle réinterprétations de standards légendaires et compositions originales, portées par une instrumentation riche : cuivres (trompette, clarinette, trombone), percussions syncopées et une basse afrobeat omniprésente. Alune Wade y célèbre les « jonctions » entre les rythmes sénégalais, l’afrobeat de Lagos et le répertoire des brass bands immortalisé à la Nouvelle-Orléans.
L’album s’ouvre sur quatre reprises audacieuses. Watermelon Man de Herbie Hancock, standard hard bop de 1962, se transforme en une pièce vibrante, dominée par la basse d’Alune et des solos incisifs, tout en rendant hommage à Manu Dibango. Voodoo Child de Jimi Hendrix, chanté en wolof, langue maternelle d’Alune, devient une célébration énergique de l’héritage africain. Water No Get Enemy de Fela Kuti, revisité avec un tempo ralenti, se mue en un récit envoûtant sur le pouvoir de la nature, tandis que Gris-Gris Gumbo Ya Ya de Dr. John capture l’âme du bayou louisianais dans une version afrobeat souveraine. Ce dernier morceau résonne particulièrement : la légende raconte que Dr. John, alias Mac Rebennack, s’inspira d’un prince sénégalais esclavagé, un lien troublant avec les origines d’Alune.
Compositions originales et échos transatlantiques
Au-delà des reprises, Alune Wade propose des compositions originales qui explorent le son de la Nouvelle-Orléans tout en ancrant son identité ouest-africaine. Same Foufou célèbre l’universalité de la nourriture, Three Baobabs exalte l’hospitalité des deux rives de l’Atlantique, Taxi Driver évoque les périls du voyage, et The Night Tripper rend un nouvel hommage à Dr. John. Le titre phare, From Congo to Square, avec la chanteuse Somi, retrace l’histoire des fanfares, des côtes africaines à Congo Square, ce lieu emblématique de la Nouvelle-Orléans où, dès 1724, les Africains asservis et libres se réunissaient pour jouer, danser et tenir marché. Ce morceau poignant illustre la résilience des musiques africaines face aux horreurs de la traite transatlantique.
Un héritage personnel
Ce projet est aussi profondément personnel. Alune Wade est le fils de Serigne Fallou Wade, cor d’harmonie et figure de la fanfare de l’armée sénégalaise, fondée en 1961 pour la jeune nation. Formé au Conservatoire de Paris, son père a transmis à Alune son amour des fanfares et des sonorités sénégalaises. Cet héritage familial imprègne New African Orleans, où les cuivres et les rythmes syncopés évoquent à la fois la tradition militaire européenne et les percussions africaines.
Tukki : Un documentaire pour raconter l’histoire
Parallèlement à l’album, le documentaire Tukki, des Racines au Bayou suit l’enregistrement du projet à Lagos, Saint-Louis et la Nouvelle-Orléans. Il explore comment les fanfares, d’origine européenne, se sont mêlées aux rythmes africains pour façonner le jazz, et comment les percussions et traditions spirituelles africaines ont influencé la Louisiane. Réalisé avec des performances en studio, des entretiens avec des figures comme Christian Scott, Femi Kuti ou l’historien Ibrahima Seck, le film met en lumière l’histoire du jazz et son impact sur la musique africaine contemporaine. Des images captées sur le vif pourraient également donner lieu à une exposition photographique.
Un événement culturel à Dakar et Saint-Louis
Du 22 au 30 mai 2025, Dakar et Saint-Louis accueilleront la première mondiale de Tukki, un concert exceptionnel, des conférences avec historiens et musiciens, et une parade festive. Ce projet ambitieux, qui conjugue musique, cinéma et réflexion historique, s’adresse d’abord au peuple sénégalais avant de conquérir le monde. Alune Wade, en retraçant le voyage des rythmes africains vers le Nouveau Monde, invite à redécouvrir le jazz comme un patrimoine partagé, fruit d’héritages, de synergies et de résilience.