Bounty, Soleil Royal, Superbe… autant de vaisseaux amiraux qui ont traversé les océans et dont les aventures qui les accompagnent continuent, elles aussi, de traverser les siècles. À Madagascar, en banlieue de la capitale Antananarivo, un petit atelier, le Village, et sa trentaine d’artisans aux doigts d’or font revivre depuis 30 ans ces navires d’exception en fabriquant leurs maquettes. Un savoir-faire unique sur l’île, qui, au fil des années, a acquis une renommée internationale auprès d’une clientèle étrangère.

Armé de son racloir, Rafah Ralahy rectifie la coque du Soleil d’Orient, un navire de commerce français du 17ᵉ siècle, ayant appartenu à la Compagnie des Indes. Ses doigts caressent le bois encore rugueux, comme pour mieux y déceler les aspérités à gommer. Lui est accastilleur. « Mon travail, c’est d’être le plus fidèle au plan. Donc, à chaque étape, pour que la maquette qu’on crée soit identique au navire conçu il y a des siècles, on fait les rectifications », explique le sexagénaire, les yeux rivés sur l’immense plan étalé sur son établi.

Dans la même pièce, en face de lui, Tovo-Hery Andrianarivo façonne les balustres du château arrière d’un navire de guerre du 18ᵉ siècle. Ciseau à bois à la main, ses gestes sont d’une précision extrême. Comme la plupart de ses camarades autour de lui, il a trente ans d’expérience. « J’aime mon métier, parce que c’est de l’art. Et je suis fier de voir nos maquettes voyager partout dans le monde. Une fois, mon ancien patron m’a montré un documentaire sur le navire Hermione, qui reprenait la mer, se rappelle-t-il. Derrière le conservateur du musée qui parlait, il y avait notre maquette. Le sentiment que j’ai ressenti ce jour-là était incroyable ! »

« C’est ce qui attire les têtes couronnées »

Le Village, c’est un clan. Les employés appartiennent à une quinzaine de familles différentes et habitent le même quartier. La plupart ont été formés en interne par le fondateur, un maquettiste naval français qui a depuis revendu l’entreprise. Quant aux plus jeunes artisans, ils sont souvent les enfants des « anciens ».

Et si l’atelier a su résister aux tempêtes provoquées par les crises économiques et sociales répétées dans le pays, « c’est grâce à la qualité unique des productions des artisans », affirme Grégory Postel, propriétaire du Village depuis 2023.

« On est sur ce qui se fait de mieux dans le monde, on n’a pas peur de le dire ! C’est même notre marque de fabrique. Il y a d’autres concurrents qui font des très belles pièces, mais pas aussi abouties que les nôtres », précise-t-il. Dans le jargon, on appelle cela « la finition musée ».

« Forcément, ça nécessite plus de travail, plus de finitions, poursuit le propriétaire du Village. Mais je pense que c’est ce qui attire par exemple les têtes couronnées, qui cherchent vraiment le produit pur, parfait, qui ressemble à ce qu’ont connu leurs aïeux lorsqu’ils étaient rois de leur pays dans les années 1600-1700. »

Le prince Albert de Monaco, la famille royale d’Espagne, le pape François… ces personnalités possèdent au moins une des maquettes de prestige réalisées ici.

Des commandes spéciales ou proposées sur catalogue, comme ce Soleil Royal, de 1,20 m de longueur, sur lequel les quatre artisanes de l’atelier gréement achèvent de tendre la dizaine de mètres de cordages durcis à la cire d’abeille et hisser les pavillons. Il aura fallu 15 personnes et plus de 800 heures de travail pour concevoir cette pièce d’exception, vendue 5 300 euros hors frais d’envoi, à un particulier en France.